Tapez “Space Invaders” sur une barre de recherche et promenez-vous cinq minutes sur la Toile. Comptez le nombre de “Most influential”, de “plus célèbre”… Répertoriez aussi le nombre d’œuvres et de design que les Invaders ont engendré. Voilà, rendons-nous à l’évidence : un possesseur-de-borne-d’arcade/amateur-de-jeux-vidéo-rétro ne peut pas snober bien longtemps l’expérience Space Invaders (création japonaise de 1978). Même si elle consiste essentiellement à se faire atomiser par des poulpes pixellisés et à se soumettre à toutes sortes d’agressions sonores.
SOMMAIRE
- Space Invaders, histoire sans fin à tous les points de vue
- L’espace est tout noir, les envahisseurs disciplinés, suicidaires et bruyants
- Que peut opposer l’Humanité à la horde spatio-marine ? Si peu
- Les sons qui rendent dingue : un chef-d’œuvre du genre
- Ressources supplémentaires sur Space Invaders
L’inexorable fait partie de l’authentique jeu d’arcade, a fortiori en matière de jeux vidéo rétro. C’est la même la seule chose qui réunit les bons et les mauvais joueurs : à une demi-heure d’écart près, tout le monde y passera, il n’y a pas de sauvegarde possible. Mais pour ce qui est de faire prendre conscience au joueur de son insignifiance, Space Invaders est peut-être le plus grand des jeux vidéo. Il réunit Fort Alamo et L’Appel de Chtulu. A quoi ça tient ? Un crescendo infernal, des sons anxiogènes, des défenses qui se fissurent sans cesse, une armée de poulpes bien ordonnés qui ne reculent jamais au moment de monter au front. Et l’explosion fatale, inexorable. Space Invaders est fantastique, mais il ne donne pas le moral.
1. Space Invaders, histoire sans fin à tous les points de vue
Cauchemar + Shoot’em up + poulpes + borne d’arcade + Atari = carton intersidéral
Le premier article de ce blog évoquait déjà Space Invaders et signalait que son créateur, Tomohiro Nishikado, avait rêvé d’écoliers attaqués par des aliens en attendant le Père Noël. Cela s’appelle donc un cauchemar, et sa représentation est parfaitement réussie.
Entre autres legs à la postérité, Tomohiro fonde un genre à part et fécond dans le jeu vidéo : le Shoot’em Up, soit “tuez-les tous” ; “si tu en es capable”, rajouterais-je pour ma part.
Ce serait également le premier jeu sans fin, car le but du joueur n’est pas de finir le jeu : les Aliens reviennent toujours. Si le joueur les détruit tous, on revient simplement au départ, pour un deuxième tableau, un troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que mort s’en suive. On peut toujours imaginer, théoriquement, une résistance sans fin, ce que l’on n’imagine même pas.
D’après le site Guinness World Records, un héros canadien de 12 ans, Eric Furrer, aurait cependant tenu les envahisseurs à l’écart durant 38 heures entre le 29 août et le 2 septembre 1980. On retrouve sur le Web bien des versions différentes sur les circonstances de ce record et j’avais commencé à les recenser. Un travail long et obscur… En définitive, je pense qu’il faudrait mieux enquêter par vous-même et choisir la vôtre, si cela vous intéresse. Chose certaine, malgré tout, d’après le site Antstream.com et quelques autres, il utilisait bien une astuce, baptisée depuis “the Furrer Trick”. Nous y reviendrons.
Le thème de l’espace viendrait de l’inévitable Star Wars (sorti en 1977) et l’idée des pieuvres, poulpes et crabes pixelisés des machines extraterrestres de La Guerre des mondes d’H.G. Wells (1898). Le sujet du jeu est donc le suivant : l’Humanité, figurée par une tour de tir mobile, des boucliers fragiles et trois petites vies, défend la planète contre des crabes et des poulpes innombrables, organisés et déterminés à descendre en bas de l’écran au point de sacrifier leur propre vie. Simple, épuré. La matrice d’un mythe.
Tomohiro Nishikado travaillait pour la non moins mythique société Taito, encore bien vivante de nos jours, qui édita notamment, outre Space Invaders, Arkanoïd et Bubble Bobble. En 1978, le jeu triomphe dans les salles d’arcade au Japon, et pas qu’un peu. En parallèle, il est exploité sur borne d’arcade aux Etats-Unis par la Midway Manufacturing Company, avec tout autant de succès. Lorsque l’on regarde cette première borne américaine sur le précieux site Arcade-Museum.com, un détail saute aux yeux : le design de la borne ne met pas avant les personnages du jeu mais des sortes de… sasquatchs radioactifs ? Ils sont assez réussis, d’ailleurs, mais n’apparaissent évidemment pas dans Space Invaders. A posteriori, cela semble étrange, mais rappelons que la Midway Company ne savait pas a priori que les Invaders étaient appelés à rentrer dans la catégorie des objets graphiques les plus célèbres du monde.
Space Invaders devient en 1980 le premier jeu de borne d’arcade adapté sur console, en l’occurrence la console Atari 2600. A partir de là, pour les poulpes de l’espace comme pour la console Atari, on ne parle plus de succès mais de carton planétaire. Il pleut de l’argent, beaucoup, beaucoup d’argent. Non, je ne donnerai pas de chiffres (personne ne donnant les mêmes, autant ne pas ajouter de la confusion…).
Aparté légende urbaine : la pénurie de pièces de 100 yens au Japon en 1978
Lorsque l’on effectue des recherches superficielles sur Space Invaders, un fait pour le moins atypique est abondamment cité, parfois au conditionnel, parfois non : l’incroyable triomphe du jeu dans les salles d’arcade japonaises aurait provoqué une pénurie de pièces de 100 yens. Une panique monétaire ? Diable.
S’y ajoute souvent l’affirmation selon laquelle le nombre de pièces de 100 yens mises en circulation aurait triplé les années suivantes. Or, si le fait est abondamment cité, les explications précises sont en général minces, ce qui est souvent douteux (d’autant que la barrière linguistique empêche de rechercher des sources au Japon…). En outre, seuls les spécialistes et amateurs de jeux vidéo semblent s’intéresser au phénomène : les économistes occidentaux s’en contrefichent, ce qui est carrément étrange. En définitive, il semble bien que cette pénurie serait à classer dans la catégorie “légende urbaine”.
Deux articles intéressants et bien documentés s’attachent en tout cas à le démontrer : le premier a été écrit en 2012 par un spécialiste de numismatique, Mark Fox ; le second, écrit en 2013 et explicitement titré Video Game Myth Busters – The Space Invaders Yen Shortage, tente de remonter aux sources de la légende et c’est très agréable à suivre. Pour résumer : le nombre de pièces de 100 yens émises en 1978 a été un peu moins élevé que lors des années précédents et suivantes, mais rien d’alarmant ; la presse japonaise se serait fait l’écho en 1978 de cas sporadiques de pénurie de pièces dans certains quartiers autour de salles d’arcade, d’où plus tard l’exagération du phénomène par certains auteurs. Bref, situations atypiques provoquées par le phénomène Space Invaders, probablement ; pénurie généralisée, non.
On peut comparer cette légende à celle qui entoure l’adaptation radiophonique de La Guerre des mondes (décidément, ces poulpes…) par Orson Welles en 1938, à laquelle on attribue des phénomènes de panique collective qui n’ont en fait jamais existé. Il n’en reste pas moins que cette croyance folklorique atteste bien du gigantesque et immédiat succès de la borne Space Invaders au Japon et de l’aura incroyable dont bénéficie encore le jeu.
Des Invaders partout, bien au-delà du jeu vidéo
Des versions innombrables. On ne peut pas évoquer ici toutes les suites, adaptations sur consoles et ersatz engendrés par Space Invaders, car… la vie est trop courte. Pour les suites, en vrac : Space Invaders, Space Invaders Part II, Space Invaders II, Return Of The Invaders, Super Space Invaders ’91, Space Invaders DX, Space Invaders ’95. Pour la liste des consoles et des ersatz, oublions, voulez-vous ? La vie est vraiment trop courte.
Cela pose quand même un problème pratique : à quelle version jouer sur la borne FLEX-arcade ? Personnellement, j’ai pris la version Space Invaders DX “color”, qui correspond je crois à Space Invaders Part II, sortie en 1980 sur borne d’arcade et qui incluait alors une grande nouveauté : la couleur. Cette version est la plus belle, à mon avis.
Dans la rue, dans les musées, sur les t-shirs, etc. Space Invaders a depuis les années 1990 franchi les limites de l’écran pour irriguer la culture populaire mondiale, et notamment les rues des grandes villes. Deux liens entre mille pour confirmer ce que vous savez déjà : le site du bien-nommé artiste Invader et celui du photographe Lionel Belluteau.
En outre, quels objets les Envahisseurs n’ont-ils pas encore envahis ? Ils sont sur T-shirts, mugs, faïence de jardin, magnets, montres, fonds d’écran… Sur bornes d’arcade aussi, bien sûr (essayez ce configurateur 3D si cela vous donne des idées). Des milliers d’artistes et de non-artistes offrent régulièrement au monde leur version de Space Invaders. D’ailleurs, voici la mienne :
Bref, Space Invaders est une affaire qui roule, un carton durable, une histoire sans fin. Les Invaders sont tendance, branchés, sympas… Alors qu’ils ne sont pas sympas du tout, si l’on se penche (enfin !) sur le jeu vidéo.
2. L’espace est tout noir, les envahisseurs disciplinés, suicidaires et bruyants
La représentation de l’espace n’est pas celle de Hubble ni de Star Wars. Pas d’étoiles, pas de comètes ni de galaxies, l’espace est noir, comme ça :
Les envahisseurs sont de trois types : “poulpes”, “calamars”, “crabes”. Ils sont organisés en 5 lignes de 11 et avancent précisément en crabe pour passer à la ligne suivante, comme une machine à écrire de l’Enfer. Les premiers sont gros et “facilement” décimables. Ceux de derrière sont petits et pénibles à viser. Tuer les poulpes des deux premières lignes rapportent 10 points, les crabes de la troisième ligne 20 points, les calamars des derniers rangs 30 points.
Effrayants, n’est-ce pas ?
Les Invaders ne cherchent pas à se protéger, ils savent que des milliers de semblables vont les remplacer. Et ils tirent des missiles, des missiles “normaux” et des “filaments”. Les filaments font plus de dégâts, comme vous pouvez vous en douter.
La marche imperturbable des Invaders
Surtout, les Aliens astro-marins accélèrent leur marche régulièrement au fur et à mesure du jeu. Plus ils approchent du bas de l’écran, plus ils vont vite. Moins ils sont nombreux, plus ils vont vite. Et enfin, plus le joueur tire, plus ils vont vite. L’accélération de la marche des Envahisseurs est l’un des aspects les plus fascinants du jeu, d’autant qu’elle est surlignée, pour ne pas dire stabylobosser, par un design sonore terrifiant (voir 4.).
Enfin, une “soucoupe mystère” traverse régulièrement l’écran de gauche à droite. On pourrait ne pas la remarquer si elle n’émettait pas une sirène stridente qui finit de mettre les nerfs du joueur en pelote. Cependant, la détruire rapporte beaucoup de points (le nombre de points est gardé secret au début du jeu), c’est donc le graal du joueur de Space Invaders.
3. Que peut opposer l’Humanité à la Horde spatiale ? Si peu
Une tour de défense mobile (encore heureux)
Elle tire des missiles toujours strictement verticaux (le canon n’est donc pas amovible, merci les gars). Règle sadique : il ne peut y avoir deux missiles humains sur le même écran. Il faut donc attendre qu’un missile ait achevé sa course sur un Invader ou sur le haut de l’écran pour en tirer un deuxième. Merci, les gars. Autant dire qu’il vaut mieux ne pas rater son coup. Cela dit, les missiles humains annihilent les missiles ennemis, c’est déjà ça.
Une ligne de quatre boucliers
Le joueur peut se réfugier derrière. Ces boucliers se fissurent des deux côtés lorsqu’un missile ennemi ou humain la percute. C’est triste à regarder.
Le joueur dispose de trois petites vies, mais on peut en obtenir plus si on accumule assez de points. Cool.
Et… voilà, c’est tout ce que l’Humanité avait à nous proposer en termes de défense galactique en 1978. Merci, les gars. Pour un joueur moyenno-moyen, jouer correctement à Space Invaders est donc une expérience chronophage au-delà de l’imaginable. Cela dit, il existe des Tricks, comme dans tous les jeux vidéos.
Astuces ?
Il y a déjà le fameux “Furrer Trick” évoqué plus haut, qui concerne la soucoupe mystère. Il s’agit de compter ses tirs à chaque début de niveau. Vous comptez 22 tirs. Ensuite vous attendez pour tirer le 23e que la soucoupe arrive et… J’ai déjà mal à la tête. Reportez-vous plutôt à cette merveilleuse page Strategywiki qui explique très bien le “Saucer Scoring Trick”.
Je ne vais pas faire mon malin, je n’ai pas réussi à maîtriser le “Furrer Trick” ni l’autre grande astuce de maître, baptisée “Wall of Death”. En fait, je n’ai commencé à ne ressentir une faible amélioration de mon niveau de jeu qu’après la lecture de deux pages Web dont j’ai placé les liens à la fin de cet article (vous y trouverez aussi une explication du “Furrer Trick” et du “Wall of Death“). Je synthétise si vous êtes trop fatigués pour vous jeter dessus : bien jouer à Space Invaders nécessite de maîtriser le “rythme cardiaque” du jeu (correspondant au mouvement régulier des Invaders) et à bien savoir se protéger derrière les boucliers. Merci, les gars.
En outre, il vaut mieux prendre son temps pour tirer car le vrai danger, c’est de manquer ses tirs. Ne vous précipitez pas, restez cool et froid comme Clint. Si du moins les bruitages de Space Invaders vous en laissent l’occasion.
4. Les sons qui rendent dingue : un chef-d’œuvre du genre
Le design visuel de Space Invaders connaît encore un succès démentiel, mais ce qui m’a personnellement marqué en redécouvrant le jeu, c’est bien son design sonore. Maintenant encore, pendant que j’écris, il me hante encore à tel point que des tremblements me prennent. Je sais qu’une mystérieuse soucoupe va entrer dans la pièce, je l’entends déjà…
Les tambours de l’apocalypse
Cela tient surtout à la musique, si on peut appeler ça comme ça : une ligne de basse de quatre notes qui accompagnent les mouvements ennemis, comme des battements de cœur (encore l’aspect cardiaque du jeu). Les leurs ou les vôtres ? Les deux, sans doute. Car, idée géniale et visiblement novatrice, le tempo de ces quatre notes s’accélèrent en même temps que la vitesse d’avancement des Invaders. Si bien qu’au moment de l’agonie du joueur, le pouls de ce dernier bat au même rythme que la musique, celui d’un tambour de galère – comme dans Ben-Hur (1959), vous voyez ? -, tandis qu’il doit faire face à une horde d’Invaders de plus en plus véloces qui fondent sur ses défenses tous en même temps. Enfin, c’est du moins l’effet que ça produit sur moi.
Bruitages au diapason
Les bruitages des missiles et autres explosions paraissent en comparaison plus banals après quarante-cinq ans de Star Wars. Mais ça fait toujours plaisir et ils se mêlent merveilleusement bien à la mécanique inexorable de la musique.
La sirène du Diable
Enfin, il y a la sirène émise par la mystérieuse soucoupe volante quand elle apparaît à l’écran. Peut-être suis-je trop sensible dans les aigus ? Je sais qu’elle va revenir régulièrement, mais elle me surprend toujours avec ses crécelles métalliques. Je pourrais jouer trente heures d’affilée qu’elle me surprendra toujours et provoquera immanquablement un tir perdu dans l’espace infini. Pour cette raison et pour bien d’autres, je n’ai encore jamais dépassé le tableau 2 à Space Invaders (je dépasse rarement le tableau 1, cela dit).
Bref, la bande sonore du jeu est à mon sens une raison nécessaire et suffisante pour se lancer, même si vous deviez vous en relever la nuit. Vous avez bien supporté Alien (1979, tiens donc), non ?
5. Ressources supplémentaires sur Space Invaders
Comme prévu, deux liens de conseils pour mieux jouer à Space Invaders, l’un de Classicgaming.cc, l’autre de Primetimeamusements.com. Les deux se recoupent, mais deux leçons valent mieux qu’une.
Il y aussi cet exemple concret sur YouTube d’un joueur qui “shoots the mystery Ship every time”
What about une petite pub française pour la version Atari de Space Invaders, sur la chaîne Youtube VideoGameAds ?
Et une version américaine de la pub pour la route ?
Je n’ai pas trouvé de documents vraiment efficaces pour rendre compte de l’univers sonore du jeu, mais je pense que rien ne remplacera votre propre expérience, n’est-ce pas ?